Les forêts bourgeoisiales

19 mai 2023
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Des rives du Rhône à 440m d’altitude, les forêts bourgeoisiales culminent à plus de 1900 m dans les contreforts du Salentin.

On y trouve toutes les différentes associations végétales d’un climat océanique et toutes les espèces d’arbres liées à un tel climat y sont représentées : de l’aulne blanc d’une forêt riveraine d’un cours d’eau à l’arole de la forêt subalpine. 

La particularité principale des forêts de la Bourgeoisie de St-Maurice est d’ordre politique. En effet, les 562 hectares (ha) qui la composent sont majoritairement situés sur d’autres territoires communaux. 

L’exploitation forestière au cours du temps

Jusque dans les années 1930, le bois provenant de l’exploitation de ces forêts était utilisé localement, majoritairement comme bois de chauffage. Les arbres étaient abattus, préparés sur place et dévalés jusqu’en plaine dans des couloirs existants ou aménagés. À certains endroits, des chemins avaient été construits pour permettre d’avancer les billons jusqu’à ces dévaloirs à l’aide de chevaux. Les branches, débris de coupe et billons de faible qualité étaient transformés en charbon de bois sur place. On peut  encore  trouver l’emplacement de quelques charbonnières et des lieux-dits en portent  le nom. Les bois de sciage étaient transformés en poutres et en planches dans des scieries locales, telle la scierie Coquoz à la Preyse.

Le Bois-Noir était divisé en portions. Chaque bourgeois « faisant feu » (fondant une famille) recevait l’une de ces parcelles et pouvait y préparer son bois de chauffage en coupant les arbres ayant atteint un certain diamètre. Ces portions étaient délimitées par des pierres plantées verticalement. Quelques-unes sont encore en place entre la Route de la Chapelle et le Chemin de Capenu, dans le prolongement du Chemin des Murgères.

« Nous apprenons que le nouveau Conseil bourgeoisial de Saint-Maurice, grâce à l’initiative de son vice-président, 

M. Rappaz, président de la commission des forêts, a fait construire un câble reliant la forêt de Plan Varnay à la nouvelle route de Mex » . Cet article paraît dans le Nouvelliste Valaisan du 5 décembre 1933. Et cette installation de débardage marque le début d’une exploitation plus rationnelle des forêts permettant d’atteindre des endroits plus difficilement accessibles. Elle permettait également d’améliorer la qualité des bois livrés en scierie, dont l’état pouvait être fortement déprécié par le dévalage. Durant les années 1939–1945 les coupes réalisées sont constituées, en priorité, de bois d’énergie.

 


Répartition des forêts bourgeoisiales

Vérossaz :
20 ha / 4 % : la Giette aux Bourgeois    

Mex (avant 2013) : 
27 ha / 5 % : La Crossette

St-Maurice :
200 ha / 35 % : le Bois-Noir, Les Râpes, les Crêtes, la Lyardère

Evionnaz :
315 ha / 56 % : Plan Sapin, Cocorié, Les Hautes, Plan Vernay, Plan de la Jeur

La Crossette  1969 : Coupe rase sur 7 hectares suivie de la plantation de 40’000 épicéas et de 4’000 mélèzes

Les années 1950–1980 peuvent être considérées comme l’âge d’or des forêts bourgeoisiales. L’introduction de nouveaux moyens techniques (tronçonneuse, câble-grue), ainsi que l’impressionnante évolution des prix incitent les conseils de l’époque à intensifier fortement les coupes de bois. Durant les années 60, les revenus de la forêt constituent les recettes principales de la Bourgeoisie (voir ci-contre).

Les ingénieurs forestiers formés à Zürich apprennent et appliquent les principes sylviculturaux allemands : on rase tout et on replante des espèces d’arbres à croissance rapide et à fort rendement économique, principalement de l’épicéa. On fait de même sur des pâturages abandonnés tel celui des Crêtes, où l’on plante plus de 34’000 épicéas, 3’500 mélèzes et 1’000 érables. Ces travaux de reboisement sont encouragés et subventionnés par le Canton et la Confédération. 

La desserte est améliorée en construisant de nouvelles routes : Plan la Jeur, Giette aux Bourgeois, Crêtes. On ne parle que de forêts productrices et le terme biodiversité ne fait pas encore partie du vocabulaire des forestiers. Et ce jusqu’en novembre 1982 où une tempête provoque de nombreux dégâts et met sur le marché une quantité importante de bois, entraînant une forte pression sur les prix, accentuée encore par un petit ravageur de l’épicéa : le bostryche. De plus, le commerce du  bois s’internationalise et les premiers sciages d’Europe du Nord arrivent en Suisse.

1984, nouvelle catastrophe : les forêts européennes se meurent; mort due à un vieillissement des peuplements, incapables de résister à une pollution industrielle en constante augmentation. Des décisions politiques sont immédiatement prises afin d’aider les propriétaires à entretenir et à rajeunir les forêts. La vente des bois ne couvrant plus les frais d’exploitation, les premières subventions à l’entretien  sont allouées.

Le 26 février 1990, la tempête Vivian ravage les forêts européennes. Sur le territoire bourgeoisial, 3’500 m3 sont renversés dans la région des Hautes – Plan Sapin. Sur ordre du Canton, tous les bois sont évacués… par hélicoptère. Les frais engagés sont disproportionnés par rapport à l’intérêt  sylvicole et durant les années suivantes, on élabore de nouveaux projets forestiers  où les termes de protection, de biodiversité, de réserve, supplantent le mot production. C’est la fin des coupes rases et des plantations. Les interventions visent à renouveler les peuplements en favorisant le rajeunissement naturel.

Actuellement, le rôle de chaque secteur forestier a été défini : protection, nature paysage, forêts sociales, production. Pour la Bourgeoisie de St-Maurice, par exemple, les forêts des Crêtes et de la Lyardère sont classées en forêts protectrices prioritaires alors que le Bois-Noir a un statut de réserve forestière.

En ce début de 21e siècle nos forêts font face à un nouveau défi : le réchauffement climatique. Nos essences traditionnelles souffrent des sécheresses à répétition et ne peuvent s’adapter à un changement si rapide… Et, dans un canton où plus de 80% des peuplements forestiers ont un rôle de protection reconnu, il est absolument nécessaire de tout faire pour les préserver.

 

Les Crêtes en 1943…

et en 1998.

Les revenus de la forêt

1945 – 1947 / Plan Sapin / 1’900 m3 / CHF 13’600.-

1954 – 1957 / La Crossette / 1’450 m3 / CHF 105’000.-

1961 – 1964 / La Crossette / 3’350 m3 / CHF 233’000.-

1972 / Plan la Jeur / 600 m3   / CHF 51’000.-

Article extrait de la publication « Le Bourgeois » No 4 – mai 2023

Auteur : Jean-Michel Richard