Regards alternés sur les Pécaporés : Raymond Berguerand

2 septembre 2024
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Le latin est bien à l’origine du nom de ce légume, mais le sobriquet des Agaunois a une plus longue histoire.

Porro, poireau, pecca poré et autres porrum

Nul besoin, apparemment, d’avoir fait du latin pour deviner que pecca poré signifie pique porreau. Et pourtant c’est bien du latin porrum que vient la traduction française de porreau. 

Apparues dans la région parisienne au Moyen-Âge, la prononciation et la graphie de poireau est officialisée dès la première édition du Dictionnaire de l’Académie française en 1694. Elle reste accompagnée de la variante porreau encore au XIXème chez Littré et chez Larousse. 

Le « porro » a donc survécu jusqu’à aujourd’hui dans certaines régions de France, en Belgique et en Suisse où l’on trouvait, notamment à Genève, le surnom de « planta porè » attribué aux maraîchers de la ville.

Pourquoi la culture de ce légume a donné naissance au sobriquet de pecca poré aux habitants du lieu ? Il faut savoir que la Bourgeoisie offrait à ses résidents des lopins de terre au bord du Rhône, que l’on fractionnait en parcelles. C’est ainsi que les bourgeois bénéficiaient d’une « portion » aux Iles pour subvenir à leurs besoins. Cette coutume ancestrale a survécu jusqu’à la construction de l’autoroute qui a bétonné ces jardins « d’Eden ».

Mais pourquoi (encore) avoir opté pour des terres si souvent soumises aux inondations, alors que plus proches du rocher elles auraient, semble-t-il, mieux convenu à la culture, sans courir le risque de se voir submergées. C’est là que l’on découvre la raison de ce choix apparemment inopportun.

 

En effet, le Rhône, alors sauvage et qui ne sera endigué qu’à la seconde guerre mondiale, pouvait s’étaler librement, charriant avec lui limon et terre végétale. A la manière du Nil, cet apport fertile de terre meuble favorisait la croissance des plantes. Sur la gravure de Mérian de 1642, on voit distinctement une île au milieu du fleuve. C’est cette dernière qui a donné son nom à l’île d’Epine et à tout un quartier. Les semis de porreaux pouvaient ainsi croître rapidement et être aisément repiqués, pour être revendus comme plantons aux jardiniers du Chablais.

La réputation du porreau est très ancienne puisqu’en 1215, quand l’évêque de Sion était reçu à la cure de Saint-Maurice, le chapelain lui devait le gîte, chauffage, chandelles et… porreaux ! La réputation de la ville et de son défilé est également liée à ce légume lorsque, avant la construction du pont Sarrasin en 1957, les automobilistes vaudois qui traversaient le Rhône sur le pont de pierre au pied du château devaient… poireauter longuement avant de pouvoir traverser la ville lors des grandes affluences du week-end.

Enfin, avec sa tête blanche et sa queue verte, le porro est peut-être un symbole de longévité pour certains vieux Agaunois…

Article extrait de la publication « Le Bourgeois » No 5 – septembre 2023